Moi et mon ami vélo

Publié le par Olga Skaïa

1986On n'avait pas de Tour de France. On avait les vélos sur lesquels on passait nos vacances à la campagne.

Tout enfant se respectant devait apprendre à faire du vélo. Généralement c'était des cousins et des copains plus âgés qui vous mettaient en selle. Après quelques chutes, quelques coudes et genoux en sang, des piqures d'orties, on savait suivre la bande sur les rues poussiéreuses du village.

Mon premier « vrai » vélo était Orlionok: un peu plus grand que le vélo pour les enfants de bas âge. Un vélo que j'ai hérité de ma cousine, une autre Olga (et oui, chez nous une fille sur deux s'appelait Olga. mais c'est une autre histoire). Orlionok était dans mon imaginaire moscovite. P-ê parce que la cousine a vécu à cette époque à Moscou. Il était gris métallisé et assez ancien. Je me souviens bien de lui et sa vitesse pitoyable. En effet, un berger allemand court plus vite que ce vélo ne sait rouler. Vérifié et imprimé pour le reste de ma vie (c'est aussi une autre histoire. elle se termine par un happy end. je vous la raconterai la prochaine fois, promis).

Mon deuxième vélo était Salut. C’était l'un des deux meilleurs cadeaux de ma vie - Salut et le chaton noir que j'ai eu pour mes 10 ans. OK, pour avoir Salut j'ai dû quand même aider : durant l’été entier j’ai ramassé les framboises dans le jardin de ma grand-mère. Une fois triées, pesées et transportées (sur un vélo tout naturellement) dans le centre de collecte des baies du kolkhoz, on gagnait des roubles. C’est ainsi que j'ai cofinancé mon cadeau. J’en étais très fière. Il était de couleur orange-roux. Ce vélo était tout neuf. Et il avait les freins sur le guidon. Les premiers dans ma vie. Et oui - ne rigolez pas.

Pour tout vous avouer - je les trouvais complétements inutiles, ces freins, et je ne les utilisais jamais. Je vous assure- je ne perdais jamais mes pédales: tous mes vélos étaient à rétropédalage.

Ah le rétropédalage! il est au vélo ce qui est la boite de vitesse manuelle à la voiture. On peut utiliser la boite automatique (freins manuels), mais pourquoi faire ?! - si vous avez tout ce qu'il faut pour le bonheur avec votre boite à vitesse (vos pédales avec lesquels vous freinez de manière plus naturelle et plus efficace)....

Une autre partie du vélo, la plus importante après les pédales qui vous faisaient avancer et freiner,- était la barre "tube horizontal". En effet, dans mon enfance, à cette époque ancienne, rétrograde et revoulue, on portait…. Et oui – on portait des robes et des jupes . Donc, le tube horizontal a été The malédiction pour les filles. Finalement les filles comme les garçons trop petits pour les vélos d'adultes à tube horizontal parvenaient à rouler avec ces maudits vélos.... tout simplement en passant une jambe sous ce tube. Bien sûr on ne parvenait pas à s'assoir sur la selle. Mais à quoi bon une selle ? - si sur le vélo tu roules soit débout, soit sans toucher le guidon et de toute façon tu freines avec tes pédales...tout ça, en transportant des cousins et des copains sur le tube horizontal ou sur le porte-bagage arrière.


 

Après Salut, quand j'étais une ado, j'ai eu l’honneur d’être témoin d'achat d'un autre vélo - Oukraina. C’était le vélo d'adulte, grand, beau et bleu-marine. Il n'était pas pour moi, mais pour toute la famille (c’est à dire - celui qui allait acheter du pain au kiosque au centre du village, l'empruntait). Pour l'acheter, on était parti avec mon père au village voisin à quelques 5 km du nôtre. En aller, mon père me transportait sur le porte-bagage. En retour, chacun avait un vélo. J’étais malheureuse de rouler en retour sur le vieux vélo. Papa a justifié cette décision par une prétendue nécessité de régler le nouveau vélo avant de l’avoir confié à un cycliste inexpérimenté (donc moi). Tout naturellement, je ne le lui pardonnerais jamais.


 

Dans les années 1980, à la campagne ukrainienne le vélo était un moyen de transport le plus répandu. Les voitures personnelles étaient très rares et très chères. Les rues n'ont pas été asphaltées ni pavées. Donc, on maitrisait parfaitement l'art de rouler au milieu des flaques d'eau ou contourner de la gadoue et des bouses, si on ne souhaitait pas être punie(s) et obligée(s) de laver le vélo en arrivant.


 

L’unique dramatique souvenir lié au vélo remonte à mes 8 ans. J’avais une copine qui m'était ainée de 2 ans. On faisait des bêtises ensemble, comme par exemple s'installer sur un prunier pour manger des prunes vertes et gouter la jolie sève du prunier (alors qu’on avait des kilos de framboises à la portée de main). Elle s'appelait Ira. Elle était fille de "chtoundy" (une quasi-secte chrétienne assez nombreuse dans le village de ma grand-mère). Une fois Ira était morte. Elle a roulé sur son vélo avec un autre enfant et ils ont eu un accident avec un camion. C’est tout ce qu’on m’avait dit. L’autre enfant s'en est sorti. Pas Ira. Je l'ai vu dans son cercueil, dans le salon de ses parents, avec un petit bleu sur le visage. Les enterrements comme les mariages c’était des grands évènements dans le village. Ce jour-ci, j’étais privilégiée d’avoir connue celle pour laquelle tout le monde était là.

Ira est enterrée pas loin de ma grand-mère. Quand je me retrouve au cimetière, tous les cinq ans, je passe lui faire un coucou. J’y vois mon enfance. Elle a toujours 9 ans, comme à l’époque, en été 1986, en été de Tchernobyl.

Publié dans Tchornobyl, souvenirs, village, vélo

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